L’État, son rôle historique, par Pierre Kropotkine

P. Kropotkine - L'Etat, son rôle historique

ISBN 978-2-918156-02-4, 11 x 17 cm, 168 p., 11 euros

Lire un extrait


Dans les quatre textes que nous regroupons ici (L’État, son rôle historique, L’Organisation de la vindicte appelée Justice, La Loi et l’Autorité et Les Droits politiques), Pierre Kropotkine entreprend une critique sans appel de l’État et de ses institutions. Dissipant l’illusion selon laquelle les hommes auraient librement consenti à s’en remettre à un pouvoir supérieur, seul moyen pour eux de se préserver d’une inévitable guerre de tous contre tous, l’auteur dénonce la structure étatique comme une organisation sociale fondée dans son essence même sur la domination. Substituant au principe fédératif de la libre initiative et de la libre entente, qui a prévalu pendant des siècles, le principe de la soumission à l’autorité, l’État centralise aux mains d’une minorité richesses et pouvoirs. Dès lors, la loi et les institutions qui la protègent — police, tribunaux, prisons —, prétendant garantir le droit des individus et les protéger de leurs semblables, se révèlent n’être que les instruments par lesquels le pouvoir conserve ses privilèges et maintient son autorité. L’égalité sociale, en ce sens, et l’émancipation des classes dominées ne sauront passer par l’appareil étatique, quelles que soient la forme de son gouvernement et l’idéologie au pouvoir. Ce n’est au contraire qu’en se libérant de l’État, en démantelant cette centralisation hiérarchisée et en renouant avec l’esprit communaliste et libertaire d’auto-organisation et de libre fédération que les hommes parviendront à réaliser une révolution sociale authentique.

Issu de la plus ancienne aristocratie russe, le prince Pierre Kropotkine est né à Moscou en 1842. Explorateur et géographe reconnu, il adhère en 1872, lors d’un voyage en Europe, à l’Association internationale des travailleurs. De retour à Saint-Pétersbourg, il s’attache à répandre clandestinement les idées socialistes. Mais en 1874, il est arrêté et enfermé dans la célèbre forteresse Pierre-et-Paul.

Parvenant à s’enfuir en 1876, il quitte la Russie pour Londres, puis la Suisse où il retrouve la Fédération jurassienne. Il participe activement aux congrès socialistes et à la propagande écrite, et fonde en 1879 le journal Le Révolté, qui deviendra en 1887 La Révolte (dirigée par Jean Grave), puis, en 1895, Les Temps nouveaux.

Surveillé et traqué par des agents gouvernementaux, Pierre Kropotkine est expulsé de Suisse. Il part pour Londres mais rejoint rapidement la France où l’agitation révolutionnaire s’intensifie. Installé en Savoie, il est finalement arrêté en 1882 avec beaucoup d’autres anarchistes en réponse à plusieurs attentats.

Condamné à quatre ans d’emprisonnement, il sera finalement libéré en 1886. Il repart alors pour l’Angleterre où il demeurera jusqu’en 1917. Continuant ses recherches de géographie, il publiera aussi ses principaux ouvrages politiques : La Morale anarchiste ; La Conquête du pain ; L’Anarchie. Sa philosophie. Son idéal ; ses mémoires traduites en français sous le titre Autour d’une vie ; L’Entraide, un facteur de l’évolution ; La Grande Révolution, 1789-1793 ; Champs, usines et ateliers ; La Science moderne et l’Anarchie. Parallèlement, il effectue de nombreuses conférences, en Angleterre bien sûr mais aussi aux États-Unis.

Quelques semaines après la révolution de février 1917 en Russie, Pierre Kropotkine rejoint enfin son pays natal. Il refuse à deux reprises de participer à un quelconque gouvernement dans la nouvelle Russie et meurt finalement en 1921 près de Moscou.

 

Ce qu’en dit la presse

L’Émancipation (juin 2009) et Offensive, n°32 (décembre 2011)

« Le théoricien anarchiste dégage de ses connaissances encyclopédiques un processus universel qui répond à ces questions. À l’exemple de l’Empire romain, une lente évolution part des tribus fonctionnant par clans, se poursuit par la création des villages, se cristallise en cités puissantes avant le règne de l’État et sa mort inéluctable. Depuis le XVIIIe siècle, l’enseignement perpétue le mythe d’un État civilisateur opposé à un Moyen Âge symbole d’obscurantisme. C’est une façon de mieux gommer les institutions d’intérêt général, issues des communes de villages, et détournées par l’État au profit d’une minorité. De fait, inspiré par l’idéal altruiste des premiers chrétiens, du XIIe au XVe siècle, la cité médiévale porte les arts, les sciences et l’industrie à un point de perfection que le machinisme moderne surpassera en quantité et en rapidité de production mais jamais en beauté et en qualité (1).

Des structures fédérales et libertaires

Sur le plan social, un réseau de fraternité et de solidarité porté par les guildes et les corporations rend le sort de l’artisan médiéval plus enviable que celui de la main d’œuvre surexploitée des manufactures du XIXe siècle. Aussi ignorants de leur histoire que les femmes et les paysans, les ouvriers mettront des siècles avant de reconquérir les droits d’union et d’association confisqués à leurs aïeux par la royauté et les régimes bourgeois.

Vaincues par la triple alliance du militaire, du prêtre et du juge, s’ajoutant à ses faiblesses propres, les structures fédérales et libertaires des cités libres s’effacent pour laisser place à l’esprit de soumission exigé de citoyenNEs devenuEs sujets de la monarchie absolue.

Dans son rapport pour saper les fondements de la justice, l’auteur rappelle que, dans les communes villageoises, le droit coutumier, au civil et au pénal, s’appliquait par l’assemblée plénière des adultes dans un esprit d’arbitrage et de compensation envers les victimes. L’Église y introduit la notion de punition et les supplices tandis que les seigneurs y joignent la comparution obligatoire devant leurs lieutenants et juges, avec la perception des amendes à leur bénéfice.

Ces méthodes arbitraires permettront, après la Révolution de 1789, la légalisation de ces régressions sociales au nom du mensonge de l’égalité devant la loi du pauvre et du riche. Selon Kropotkine, la démonstration est faite : « la loi a suivi les mêmes phases de développement que le capital : frères et sœurs jumeaux, ils ont marché la main dans la main, se nourrissant l’un et l’autre des souffrances et misères de l’humanité ».

Si l’écrivain ne tient pas le code pour la source de toutes les oppressions, il ne considère pas les droits politiques affichés par les gouvernements libéraux comme négligeables. Il observe seulement qu’ils servent les gouvernants plus que les gouvernéEs et sont supprimés si le peuple s’avise de les utiliser contre la bourgeoisie.

Dans un langage accessible à touTEs, ce réquisitoire indépassé contre l’État et ses institutions se termine par un avertissement toujours d’actualité : « c’est seulement en nous constituant comme force, capable d’imposer notre volonté, que nous parviendrons à faire respecter nos droits ». » Hélène Fabre

(1) Pour mieux connaître le Moyen-Âge rebelle et la civilisation des cités, lire Jérôme Baschet : La Civilisation féodale. De l’an mil à la colonisation de l’Amérique (Flammarion, Champs, 2006) et Lewis Mumford : La Cité à travers l’histoire (Agone, 2011).

Le Monde libertaire, n°1587 (18-24 mars 2010) et Divergences, n°19 (mars 2010)

« Merci aux flibustiers

C’est à la Grande Révolution que revient l’honneur d’avoir commencé la démolition de cet échafaudage de lois qui nous a été légué par la féodalité et la royauté. Mais, après avoir supprimé quelques parties du vieil édifice, la Révolution remit le pouvoir de légiférer entre les mains de la bourgeoisie qui, à son tour, commença à élever tout un nouvel échafaudage de lois destinées à perpétuer sa domination sur le peuple. Dans ses Parlements, elle légifère à perte de vue, et des montagnes de paperasses s’accumulent avec une rapidité effroyable. Mais que sont au fond toutes ces lois ? La plus grande partie n’a qu’un but : celui de protéger la propriété individuelle.

Quiconque a gardé au cœur le moindre souffle du libéralisme de nos pères, quiconque voit dans la République autre chose que le marchepied à de sordides ambitions, a compris que le seul moyen de préserver le modeste dépôt de nos libertés acquises, le patrimoine si peu ample de nos franchises héréditaires, c’est de poursuivre sans relâche l’œuvre de justice sociale de la Révolution. À cette heure, on ne peut plus être un libéral sincère, consciencieux, qu’à la condition de faire publiquement et irrévocablement adhésion au parti de la Révolution. Cela, pour deux raisons : parce que tout se tient dans une société et que la liberté n’est qu’une forme vide et un vain mot, un trompe-l’œil hypocrite, tant qu’on ne lui donne pas, sous forme d’institutions, les conditions sociales de sa réalisation individuelle ; puis ensuite, parce que le peuple seul a gardé quelque foi, quelque idéal, quelque générosité, quelque souci désintéressé de la justice et que le peuple, par définition, nécessairement, est révolutionnaire et socialiste.

Ce sont là des constatations banales ! Et, cependant, il est nécessaire d’y insister, de glorifier l’effort, parce qu’un enseignement déprimant a saturé la génération qui passe, l’a imprégnée de formules débilitantes. L’inutilité de l’effort a été érigée en théorie et on a prêché que toute réalisation révolutionnaire découlerait du jeu fatal des événements : la catastrophe, annonçait-on, se produirait automatiquement, lorsque, par un processus fatidique, les institutions capitalistes seraient parvenues à leur maximum de tension. Alors, d’elles-mêmes, elles éclateraient ! L’effort de l’homme dans le plan économique était proclamé superflu, son action contre le milieu compressif dont il pâtit était affirmée inopérante. On ne lui laissait qu’un espoir : infiltrer des siens dans les Parlements bourgeois et attendre l’inévitable déclenchement catastrophique.

Ce qui vient d’être dit est frappant. Cela a été écrit il y a presque trois siècles. La première phrase a été écrite par Kropotkine, la deuxième est de Francis de Pressensé, la troisième est d’Émile Pouget. Elles sont extraites de trois petits livres parus ces derniers temps à Marseille aux éditions Le flibustier. Le premier rassemble différents textes du prince russe parus dans Le Révolté en 1882 ou dans Les Temps nouveaux au début du siècle suivant. Le deuxième porte comme titre Les Lois scélérates de 1893-1894. Il rassemble trois textes, l’un de Pressensé déjà cité, l’autre d’un anonyme, juriste de son état et le dernier de Pouget dont les écrits bien connus, L’Action directe et Le Sabotage forment le contenu du troisième livre.

Je ne reviendrais pas sur L’État et son rôle historique de Kropotkine. D’autres l’ont fait bien mieux que moi. Je m’arrêterai juste sur le dernier texte de cet opuscule intitulé Les Droits politiques pour remarquer que contrairement à son époque ces droits ne sont plus contestés, ils sont effectifs ; nous pouvons parler, écrire, éditer, nous réunir sans trop de problèmes. Nous savons pourtant que leur exercice ne change pas grand-chose à la réalité. Nous savons aussi que si nous ne les exerçons pas ils disparaîtront. Ces lois qui, à la fin du XIXe siècle, sont votées par des possédants effrayés par quelques bombinettes plus ou moins meurtrières (possédants qui n’hésiteront pas un seul instant à fournir à la guerre qui vient des cadavres à foison), ces lois, qui méritèrent à leur époque l’adjectif de scélérates, sont de retour. Actuellement, les immigrés font peur. Ils forment le nouveau prolétariat, entité étrange, menaçante, indéfinie. Pouget, expliquant clairement ce qu’est le sabotage de l’outil de production, doit leur sembler bien étrange, préoccupés qu’ils sont par la recherche d’un travail.

Par contre, la pratique de l’action directe, leur est quelque chose d’évident, de naturel. En témoignent les différentes grèves et manifestations de sans-papiers. Il faut lire Pouget aujourd’hui, particulièrement ce texte intitulé L’Action directe, il est d’une actualité brûlante.

Merci aux flibustiers d’avoir publié ces trois ouvrages. » » Pierre Sommermeyer