Les Bandits tragiques, par Victor Méric

V. Méric - Les Bandits tragiquesISBN 978-2-918156-03-1, 11 x 17 cm, 224 p., 11 euros

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Paru en 1926, Les Bandits tragiques raconte l’histoire de la bande à Bonnot, une poignée d’hommes encore jeunes lancés dans une épopée sanglante qui ne les conduira nulle part. L’auteur y relate dans le détail chaque épisode de leur course folle, examine leurs personnalités et revient sans indulgence sur le journal dont ils faisaient partie, L’Anarchie, porte-voix des individualistes fondé en 1905 par Albert Libertad. Il dépeint les théories illégalistes que l’on y défendait volontiers, selon lesquelles vol et fausse monnaie, en tant que réappropriation des biens acquis sur la base de l’exploitation sociale, étaient élevés au rang d’actes révolutionnaires. Il raconte enfin comment ces hommes, ces « en-dehors », refusant leur avenir tracé d’esclaves salariés, voulaient vivre en anarchistes ici et maintenant, sans attendre une hypothétique Révolution.

Mais l’aventure des bandits tragiques est surtout, pour Victor Méric, l’occasion de dénoncer le rouleau compresseur répressif qui s’est abattu sur les membres de L’Anarchie, et tout particulièrement sur Eugène Dieudonné. S’appuyant sur le seul témoignage d’un garçon de recette attaqué par la bande, la police l’accusa d’être l’un des agresseurs. Et malgré l’authentique alibi dont disposait l’accusé, malgré les multiples déclarations des véritables auteurs de l’attaque, il fut déclaré coupable et condamné à la peine de mort. On ne l’exécuta certes pas, sa peine ayant été au dernier moment commuée en travaux forcés à perpétuité. Mais il paya au prix fort sa proximité avec les bandits tragiques, en demeurant au bagne pendant plus de dix ans.

Né à Marseille en 1876, Victor Méric (Henri Coudon de son vrai nom) rejoint rapidement Paris où il fréquente les artistes bohèmes de Montmartre et les milieux anarchistes. Il milite alors dans les meetings et les salles de rédaction et collabore au journal Le Libertaire fondé en 1895 par Sébastien Faure. Antimilitariste farouche, il prend part à l’Association internationale antimilitariste, une organisation qui appelle à la désertion.

En 1907, le socialiste Gustave Hervé fonde La Guerre sociale, un journal antimilitariste où se côtoient socialistes révolutionnaires et anarchistes. Victor Méric y participe, aux côtés notamment de Miguel Almereyda, Charles Malato, Émile Pouget, et d’un certain Jean De Boë que l’on retrouvera mêlé à l’histoire des bandits tragiques. Parallèlement, il publie dans Les Hommes du jour, une série périodique de portraits acérés dont certains lui vaudront la prison.

En 1917, la révolution russe enflamme le cœur des révolutionnaires. Et la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), à laquelle appartient Victor Méric, se divise sur la question de son adhésion à l’Internationale communiste, ou IIIe Internationale, fondée par Lénine. En 1920, une majorité vote l’adhésion et fonde un nouveau parti, la Section française de l’Internationale communiste (SFIC), ancêtre du Parti communiste français. Victor Méric est alors élu au comité directeur de ce nouveau parti, et collabore à L’Humanité qui en est l’organe officiel.

Mais très vite l’autorité russe qui dirige l’Internationale communiste pèse à la sensibilité libertaire de Méric. Il s’insurge de plus en plus contre la discipline imposée et sera finalement exclu du parti en 1923. Il s’investit alors dans l’Union socialiste communiste qui regroupe des dissidents de la SFIC.

Victor Méric ne cesse cependant pas d’écrire. Il publie ainsi plusieurs ouvrages, essais et littérature, où il peut librement s’exprimer : Les Bandits tragiques en 1926, Le Crime des vieux en 1927, La Der des der en 1928, Les Compagnons de l’escopette en 1930, À travers la jungle politique et littéraire, deux séries parues en 1930 et 1931, La Guerre qui revient : fraîche et gazeuse en 1932. Il poursuit en outre son militantisme pacifiste en fondant en 1931 la Ligue internationale des combattants de la paix ainsi qu’un journal, La Patrie humaine.

Mais le cancer ne lui laisse guère de temps et Victor Méric meurt à l’automne 1933.

 

Ce qu’en dit la presse

Divergences, n°23 (décembre 2010)

« Les Gamins féroces de l’anarchie
« Pour les jeunes, ceux qu’on baptise les nouvelles couches, c’est de l’histoire ancienne, de la vieillerie fripée qui ne vaut pas un regard, en un temps où l’on a d’autres chats à fouetter, où les regrets sont superflus, les retours vers le passé incongrus et où tant de nouveautés mirifiques sollicitent l’attention promptement détournée. C’est que le drame n’est pas d’hier. Mille neuf cent douze, pensez donc ! C’est vieux, si vieux. » C’est ce que Victor Méric écrivait… en 1926. Et nous voici un siècle après le drame, sur lequel pourtant on ne cesse de revenir. Même si les jeunes couches ont toujours d’autres chats à fouetter… Le drame, c’est celui de la « bande à Bonnot ». Méric en a été le témoin, il a suivi de près les événements, il en a parlé dans la presse, il a connu plusieurs des protagonistes, fréquenté le même milieu, le milieu bigarré et agité des individualistes libertaires tournant autour du journal L’Anarchie. Son récit, son « reportage », Les Bandits tragiques, a donc été publié en 1926. On le citait, on ne le trouvait plus depuis bien longtemps. Les éditions Le Flibustier viennent de le ressortir. » (Lire la suite ici) René Furth

Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur (un blog de l’Atelier de création libertaire) (novembre 2010)

« Victor Méric écrit Les Bandits tragiques en 1926. L’ouvrage, précieux témoignage, indispensable analyse, a été réédité en 2010 par les éditions Le Flibustier. L’homme, ancien anarchiste, ancien socialiste révolutionnaire, a bien changé. C’est même vis-à-vis des illégalistes, un virage à 180 degrés. La grande boucherie est bien sûr passée par là. Le rouleau compresseur soviétique, venu de l’Est, a fait le reste. Le collectif a écrasé l’individu et l’auteur, communiste exclu de la SFIC, née du congrès de Tours, a rangé au vestiaire droit de vivre et reprise individuelle pour ne retenir que les dégâts et autres dommages collatéraux de la geste sanglante, et surtout sans lendemain qui puisse chanter, de Jules Bonnot et compagnie.

Là où l’ancien journaliste à la Guerre Sociale, aux Hommes du Jour et à L’Humanité, reconnaissait pourtant dans les colonnes du Libertaire, 21 ans plus tôt, la noble et mâle attitude et surtout les principes, justes et généreux, de l’honnête cambrioleur au procès d’Amiens dans l’article L’erreur de Jacob, son récit et son analyse de la bande à Bonnot voue les pratiques illégalistes à une irrémédiable condamnation. De la sorte, vivre l’anarchie immédiatement ne peut donc aboutir qu’à une impasse dans laquelle se sont perdus tant de jeunes écervelés et manipulables à souhait.

C’est pourquoi il dénonce avec force et virulence l’influence néfaste et mortelle d’autoproclamés gourous de l’individualisme anarchistes. Libertad, Paraf-Javal, Lorulot, d’autres encore, en prennent largement pour leur grade ? Ceux-là mêmes, reclus derrière leur pseudo statut de penseur, de théoricien, n’auraient pas les mains salies du sang de Jouin ou bien encore des deux vieillards de Thiais. Et c’est dans les milieux libres de Romainville ou d’ailleurs que la mauvaise herbe a finit de pousser et de rendre inculte le champ d’une anarchie qui eut pu être, selon Méric, une formidable école d’énergie révolutionnaire. » J. M. D.

Dissidences (août 2011)

« La première publication de ce livre date de 1926. Récit vivant et agréable de l’épopée de la Bande à Bonnot, écrit par un journaliste et écrivain, proche des milieux d’extrême gauche, et largement basée sur les Souvenirs d’Eugène Dieudonné, l’un des accusés, malgré son innocence, lors du procès des « bandits tragiques » (envoyé à Cayenne, il s’évada – voir Albert Londres, L’homme qui s’évada). L’intérêt de l’essai de Méric, outre le style, tient à l’étude du contexte social et politique, nourrie d’extraits de journaux, de livres (dont celui de Rirette Maitrejean, anarchiste, compagne de Kibaltchiche (Victor Serge)) et documents d’époque. Ainsi, il raconte la « véritable crise de délation » (page 36) lors de l’affaire et comment le siège puis l’exécution de plusieurs des bandits se sont mués, pour la société bourgeoise, en pique-nique, en spectacle, voire pour certains, en chasse à l’homme – comme au temps de la répression de la Commune. De même, l’auteur montre l’ambivalence de la bande, sortant « de la catégorie classique des bandits crapuleux et quotidiens » (page 61) et où, comme l’écrivait un journaliste alors, « le révolté perçait sous la bête fauve » (page 86). Il réinscrit ainsi les événements dans « une époque de féroces luttes sociales » (page 23). Par certains côtés d’ailleurs, la Bande à Bonnot s’apparente à la conception des « bandits sociaux », élaborée par Hobsbawn (voir le compte-rendu sur ce site). Le livre vaut également par l’analyse des milieux anarchistes de l’époque – avec ses personnages haut en couleur (Libertad, Ologue-le-Cynique, …) – et ses dynamiques (Causeries populaires, scientisme, etc.). Mais l’analyse tend parfois à donner du mouvement anarchiste une vision folklorique un peu réductrice.

L’éditeur, dans la présentation, après avoir évoqué le parcours de l’auteur – de l’anarchisme au socialisme de gauche, puis au communisme, avant d’être exclu du Parti en 1923, et de poursuivre ses activités comme « dissident » jusqu’à sa mort en 1933 -, insiste sur l’actualité de la dénonciation du « rouleau compresseur répressif » (page 12), prenant vite un tour social et politique. Cependant, il est dommage que le jugement de l’auteur sur les « bandits tragiques » – « à la base, folie, ignorance, révolte, désir de se singulariser (…). Le spectacle des iniquités sociales les avait conduit là. De funestes théoriciens firent le reste » (page 153) – ne soit pas éclairé en fonction justement de son parcours et de son positionnement politique. Il aurait été intéressant de mettre son jugement en rapport avec d’autres études, qui aurait permis de dessiner les contours d’une mouvance libertaire, qui s’est liée, après 1917, au communisme. En ce sens, le livre de Méric est un peu léger. Certes, il insiste beaucoup et avec raison sur l’influence du scientisme (page 143), de la spéculation théorique (pages 18 et 108) mal ou non assimilées, sur l’irresponsabilité de quelques théoriciens anarchistes (qui eux s’en sortirent bien) et le contexte des luttes sociales pour expliquer la vague d’illégalisme. Mais son analyse est bien moins riche que celle de Victor Serge, qui dans ses Mémoires(1), évoque également la griserie du scientisme qui sévissait alors, en la liant à d’autres facteurs structurels. Ainsi, il explique cette « deuxième explosion de l’anarchisme » en France par la conjonction de l’isolement et du désespoir des anarchistes, qui correspondait, selon lui, à un niveau plus étendu, à « la faillite d’une idéologie », mais aussi à « l’impasse [dans laquelle] se trouvait à Paris le mouvement révolutionnaire, toutes tendances comprises » (page 525). Sans constituer donc une étude historique rigoureuse, le livre de Victor Méric offre une approche plus littéraire et une bonne introduction à l’histoire des « bandits tragiques ». » Frédéric Thomas

(1) Victor Serge, « Mémoires d’un révolutionnaire », pp. 516-537 dans Mémoires d’un révolutionnaire et autres écrits politiques. 1908-1947, Paris, 2001, Robert Laffont.